La mode et la pêche à la mouche
Le seul avantage du confinement c’est qu’il permet d’avoir un peu de temps pour des workaddicts
comme moi de faire autre chose que travailler !
Mais comme la vie végétative n’est pas mon fort, j’en profite pour découvrir ou redécouvrir des livres
de ma bibliothèque et également de pouvoir regarder un peu les fameux réseaux sociaux qui pour
moi restent quand même toujours un grand mystère ? Comment peut-on sans difficulté étaler sa vie
privée qui, soyons clairs, n’est pas d’un intérêt collectif fondamental ?
Mais ce n’est pas le propos, la réflexion du jour est la suivante :
Existe-il un phénomène de mode dans les différentes manières de pêcher à la mouche ?
Je suis une « vieille main », car je pratique la pêche à la mouche depuis plus de cinquante ans et si je
n’ai aucune prétention en termes d’efficacité, j’ai quand même pu observer les différents
comportements des pêcheurs depuis toutes ces années, et surtout encore une fois sans aucune
prétention, je crois pouvoir dire que je sais de quoi je parle !
Par contre pour pouvoir parler de la mode ou de « mode », j’avoue que je ne suis pas un grand
spécialiste. Mais j’ai la chance d’avoir une partie de ma famille qui travaille dans ce secteur et qui a
pu éclairer ma lanterne. Donc je vais vous donner quelques explications scientifiques et académiques
(la mode est une science qui est enseignée à l’Université)
« Difficile de trouver une définition concise et précise de cet univers infini, communautaire et à la fois
très personnel. Mais pour aller vraiment vite, on pourrait dire que la mode, c’est la nouveauté,
l’originalité, parfois même une provocation contre l’ordre établi. En rupture avec les traditions, c’est
un précieux indicateur de l’évolution de notre société. »
Cette phrase est extraite d’un site qui s’appelle « Le portail de la mode ». Bien sur la mode est perçue
comme une manière de s’habiller, dans cette définition, mais si nous l’appliquons au monde de la
pêche à la mouche, cette définition est tout à fait d’actualité. Car si nous jouons avec les mots, les
modes de pêche ont subi l’influence de la mode au sens de provocation contre l’ordre établi !
Quand j’ai pris mon premier poisson à la mouche, ce n’était pas une truite, c’était un chevesne, de 12
cm, et je l’ai pris évidemment en mouche sèche le 1
er septembre 1972 dans la basse vallée de la
Durance en amont de son confluent avec le Rhône. A cette époque la pêche à la mouche n’était pas
confidentielle, mais personne ou presque en France ne parlait de pêche à la mouche autrement
qu’en mouche sèche. La pêche en noyée existait encore, mais la pêche à la nymphe restait du
domaine exclusif de quelques pratiquants, qui pour le très jeune homme que j’étais, faisaient partie
d’une espèce de secte, presque ésotérique. Tout le matériel disponible était exclusivement orienté
vers la pêche en sèche. Quatre années plus tard, j’eus la chance de pêcher pour la première fois les
rivières de Franche Comté, La Loue, le Dessoubre et le Doubs, et là encore, seule la pêche en mouche
sèche avait droit de cité. Toutefois quelques pêcheurs pratiquaient avec bonheur la pêche en
nymphe à vue sur des ombres ou des truites coopératifs, mais pas plus qu’aujourd’hui, en s’attirant
souvent des réflexions désobligeantes de la part des autres pêcheurs qui disaient, je m’en souviens
encore, qu’ils « pêchaient au pou ! ».
Je découvris en 1980, les rivières autrichiennes et un peu plus tard les rivières yougoslaves et là-bas
les touristes français et italiens ne pêchaient pas autrement qu’en mouche sèche ! En revanche nos
confrères germaniques et autrichiens pêchaient à la mouche certes, avec de monstrueuses imitations
de « stoneflies hyperplombées » qu’ils dandinaient dans les grands profonds de certaines rivières.
Mais j’ai des souvenirs magnifiques de soirées européennes dans des hôtels de pêche où le temps
semblait s’être arrêté et où nous échangions avec les autres privilégiés des histoires incroyables et
des mouches pour pouvoir tenter la grosse du pont. Et ce n’était que des mouches sèches.
En même temps si l’on relit les revues de pêche de l’époque aussi bien en langue française qu’en
anglais ou un peu en allemand, on se rend compte que l’émergence de nouvelles techniques de
pêche, qui devenaient à la mode(!), était en fait sous tendue par une tendance de plus en plus forte :
la notion de commerce halieutique qui permettait de sensibiliser une partie des pêcheurs à un mode
de pêche nouveau (alors qu’ils prenaient difficilement des poissons avec leurs techniques
habituelles), en leur faisant croire qu’ils pourraient attraper plus de poissons en changeant de
technique ! Et cela permet de rapprocher la pêche à la mouche de la mode, puisque, par définition la
mode change chaque année, pour permettre à cette industrie de vendre les mêmes types de
vêtements pour suivre la tendance et par là même d’encombrer nos placards ! Les fabricants
d’articles de pêche ont eu un grand intérêt bien sûr à développer de nouveaux produits pour que très
vite nos « pièces de pêche » soient aussi encombrées que les placards de nos épouses !
Avant la révolution de la pêche à la nymphe il y avait bien sur un certain snobisme à pêcher à la
mouche avec des équipements et surtout des vêtements qui n’auraient pas fait rougir un créateur de
mode. Il suffisait de se rendre dans des boutiques mythiques comme l’Orvis Shop de New York ou de
Turin, la Maison de la Mouche à Paris, ou la boutique Hardy à Londres, pour comprendre le fabuleux
potentiel commercial que représentait et représente toujours la pêche à la mouche. Puis il y avait
dans les années 80 cette inconscience totale du phénomène écologique actuel du changement
climatique. Ce fut une période merveilleuse, non pas parce que nous prenions beaucoup de poissons,
mais surtout parce que nous prenions beaucoup, beaucoup de plaisir à essayer de leurrer des
poissons sauvages (ou presque), qui gobaient avec avidité les insectes naturels mais qui trop souvent
refusaient nos mouches. Il paraissait donc assez normal que nous cherchions des solutions à ce
problème et chacun d’entre nous essayait de trouver « la bonne mouche » (sèche) Comme à
l’époque j’écrivais beaucoup, je théorisais, en faisant des truites et des ombres des animaux quasi
mythologiques, doués de capacités surnaturelles, dans le seul but de me faire devenir fou enragé en
ne gobant pas mes imitations, pourtant magnifiques à mes yeux. C’est à la suite de ses échecs
répétés, que je commençais à m’intéresser d’un peu plus près à l’entomologie et à la biologie de ces
animaux finalement assez primitifs que sont les poissons. J’allais même en laboratoire pour disséquer
une truite et un ombre et c’est quand je vis la taille du cerveau d’une truite de 800 grammes que je
me mis à douter fortement de mes théories qui donnaient à ce poisson des capacités de
raisonnement et d’analyse supérieures à l’ « homo sapiens pescator » que j’étais. La fréquentation
des milieux scientifiques de l’étude des écosystèmes me donna vite à penser que
l’anthropomorphisme n’est surement pas la bonne approche quand on veut essayer de comprendre
pourquoi une truite ou un ombre refuse de gober une jolie petite mouche. Cela ne veut pas dire que
les truites sont des imbéciles, non, mais honnêtement, je ne pense pas que les comportements
alimentaires et la capacité de mémorisation d’une truite soient basés sur les mêmes modes de
fonctionnement que le cerveau de l’espèce humaine. Un peu de science du comportement animal. Le
cerveau d’un poisson et de la truite en particulier, ne comporte pas de ce que l’on appelle chez
l’homme le cortex ou le néo cortex siège du langage et des émotions. Cependant il est fort probable
quoique non démonté de manière absolue, qu’il existe dans le cerveau de certains poissons une zone
comparable à la zone sous corticale chez l’homme qui serait le siège de la mémoire. Enfin les
poissons et la truite en particulier ont un cerveau reptilien ou archaïque minuscule en poids mais très
efficace sur le plan de la vue de l’odorat et même d’un sens que nous ne possédons pas nous les
hommes, la perception vibratoire des mouvements d’autres organismes vivants circulant près de
nous la fameuse ligne latérale. Mais nous en parlerons un peu plus loin le toucher et le gout sont
regroupés dans la bouche et la langue de la truite.
J’appris également pendant cette période bénie, plein de choses fort importantes sur le mode
d’alimentation des poissons de rivières et en particulier dans les eaux de première catégorie. Et peu à
peu je compris que si je ne prenais pas beaucoup de poissons, c’est que d’une part je devais à tout
prix réapprendre à lancer correctement, à rallonger mon bas de ligne, mais surtout je devais changer
de technique, la pêche à la mouche sèche n’est qu’une pêche occasionnelle, la plupart du temps les
poissons se nourrissent sous la surface. Mes maîtres en biologie et en écologie, me le disaient tous
les jours avec des preuves à l’appui, en particulier avec l’étude des contenus stomacaux des truites
que je ramenais au laboratoire. Du coup je m’en souviens comme si c’était hier je décidais de pêcher
non plus en mouche sèche mais en mouche noyée. Je vous rappelle que nous sommes en 1980.
Je cherchais en vain un professeur, un livre une revue, et j’eus la chance de pouvoir lire un petit
bouquin écrit par un certain Maurice Carrère « Pêche à la mouche noyée » ! Ce livre me permit
surtout de découvrir que les truites pouvaient prendre sous l’eau des mouches qui en fait étaient des
leurres, des stimuli, agissant sur le minuscule cerveau de la truite en lui faisant croire que c’était bon
à manger ou que cette espèce de chose bizarre qui passait devant son nez méritait un bon coup de
dents bien agressif, pour lui apprendre la politesse. Car n’oublions pas que la truite ou l’ombre dans
les rivières de 1ere catégorie sont au sommet de la chaine alimentaire, ce sont en quelque sorte les
tyrannosaures des cours d’eau, et que leur comportement alimentaire est basé sur des réflexes
instinctifs, mais que pour se battre elles ou ils n’ont pas de mains ou de pieds, tout est en dans leur
gueule et dans leur queue (comme certains hommes d’ailleurs !). J’en étais tout retourné, et le coup
de grâce de mes croyances me fut administré en lisant un autre livre d’un auteur anglais que je vous
recommande Oliver Kite, qui dans son livre sur la pêche à la nymphe décrivait une « mouche »
appelée « Bare Hook », qui en fait était d’une simplicité incroyable puisqu’il enroulait un fil de cuivre
sur la hampe de l’hameçon et qu’il présentait ce leurre sous le nez des truites et qu’il pouvait en
prendre et en prendre sans difficulté. Et quand je pense que à cette époque je cherchais à imiter l’œil
en turban des éphémères ! Je retournais à mes chères études entomologiques, mais mis à part des
chironomes, je ne voyais pas ce qu’il pouvait bien imiter ! Donc je décidais de m’y mettre et tout seul
comme un grand, je fabriquais des mouches noyées des nymphes simplissimes et j’essayais de
prendre des truites. Ce n’est jamais facile d’être un pionnier, d’autant plus que cette technique,
quand elle est pratiquée avec un bambou refendu de huit pieds et une soie de 5 ne permet pas
facilement de bien contrôler la dérive…Mais bon au bout d’un certain nombre de bredouilles je finis
par comprendre, que cette pêche permettait de prendre beaucoup plus de poissons qu’en mouche
sèche, à condition de ne pas pêcher avec du matériel à mouche, et c’est le jour où j’utilisais une
canne à l’anglaise avec un bas de ligne de 8 mètres que je me mis à prendre du poissons ! En fait je
venais de réinventer la pêche au toc. Je prenais des poissons, beaucoup de poissons même, mais je
n’éprouvais pas le même plaisir, d’autant plus qu’avec mes « mouches » je pouvais en rajoutant des
plombs gratter le fond et que soyons honnêtes là ce n’était pas très difficile. Et puis il faut être
réaliste, ce n’étais pas à la mode et c’était même mal vu de pêcher les meilleurs parcours autrichiens
avec une canne de 4 mètres même en l’équipant d’un moulinet manuel.
Je suis sans doute un être anormal, car au lieu de publier dans les revues de l’époque je me
contentais de ranger au placard, mes deux mouches noyées et ma nymphe, ma canne à l’anglaise en
fibre de verre, et je me remis rapidement à mes tentatives d’imitation de l’œil en turban des
éphémères ! Je ne sais toujours pas pourquoi je préfère pêcher en mouche sèche, 14 ans de
psychanalyse n’ont pas suffi pour élucider ce mystère. Et il faut dire également que à cette époque
même si ma passion était immense, les moments de liberté que me laissaient mon travail et ma
famille étaient assez rares ! Et si je prenais une journée pour aller pêcher autant me faire plaisir, et
pour moi une truite de la Dourbie ou de la Vis prise en sèche en une journée suffisait à me procurer
un immense bonheur.
Mais j’avoue quand même que je ne pouvais pas m’empêcher d’admirer les bons lanceurs de soie, et
c’est pour cela que j’allais toujours pêcher avec des amis plus doués pour le casting et le montage
des mouches que le nombre de truites prises, et finalement nous étions heureux. Je vis aujourd’hui
dans un paradis au milieu de rivières toutes plus belles les unes que les autres avec des truites
uniquement qui gobent encore suffisamment pour me donner un peu de bonheur, je pêche tout seul
bien sûr plus personne ou presque ne pêche en mouche sèche, et plus personne ne prend soin de
son bambou refendu qui ne sert plus à rien, ni de sa soie naturelle qui permet des posés délicats à 20
mètres, puisque toute la soie est sur le moulinet et ne sert plus à rien ! Bien sûr en pêchant avec des
enclumes de tungstène vous prendrez beaucoup plus de truites que moi avec mes petites imitations
d’éphémères grises qui ont toute l’œil en turban, mais je sais bien qu’il n’y a que moi (et quelques
truites) que ça intéresse !
Tout cette belle histoire pour vous dire en fait que je suivais la mode sans le savoir, il était beaucoup
plus classe de prendre une truite en sèche qu’en noyée ou en nymphe. Ce n’est que quelques années
plus tard, que sous l’impulsion des pêcheurs de compétition, la mode se mit à changer. Le principe
même de la compétition c’est d’essayer de prendre plus de poissons que le voisin pour gagner la
médaille d’or. Un autre principe de la compétition ce sont les règles que l’on doit respecter, pour
qu’évidemment chacun puisse avoir les mêmes chances et que cette la médaille d’or soit attribuée
au plus méritant dans le cadre ainsi défini. Je n’ai jamais trop aimé les règles ! D’autre part je n’ai
jamais été un compétiteur, et quand j’avais le bonheur de pêcher avec un professionnel de la
compétition, je n’éprouvais ni jalousie, ni désir de lui ressembler ! Le stakhanovisme n’est pas pour
moi ! Mais ces braves compétiteurs qui comme les pilotes de Formule 1 ne cherchent pas en prendre
du plaisir à conduire, mais bien à être les premiers, ont très vite essayé de tourner les règles. Comme
je l’ai dit plus haut il est à la fois plus facile et plus rentable de pêcher à la mouche en noyée ou en
nymphe, et assez vite nous vîmes apparaitre des champions du monde qui n’étaient pas et de loin
des champions de casting. Ils pêchaient à la mouche, c’est-à-dire avec une canne à mouche, un
moulinet et une soie, mais ils utilisaient un bas de ligne de plusieurs mètres et des mouches qui
avaient l’avantage, d’une part de pouvoir se lancer sans soie, et d’autre part, d’aller directement au
fond de l’eau, sous l’effet de leur poids. Ce sont les pêcheurs tchèques qui avec des imitations de
crevettes d’eau douce bien lourdes remportèrent leur championnat du monde. Révolution ou
évolution ? Ni l’une ni l’autre tout simplement il s’agissait de compétition ! Et en compétition si vous
pêchez en utilisant une technique beaucoup plus rentable que la pêche en sèche, qui n’est pas
interdite par le règlement, eh bien vous avez gagné ! Et comme en même temps les effets pervers de
la pollution chronique des rivières et le début du réchauffement climatique, avaient fait diminuer
considérablement les quantités d’insectes aquatiques, les poissons ne gobaient plus autant et il
devenait donc de plus en plus difficile de prendre un poisson en mouche sèche et par voie de
conséquence plus facile en pêchant à la nymphe. Et la mode changea, les pêcheurs aussi furent en
proportion plus nombreux à pratiquer la pêche au fouet, et ce d’autant plus qu’il ne fallait plus
fouetter ! Et puis les fabricants se mirent à proposer des cannes différentes des soies différentes et
bien sur le pêcheur moyen, avait très envie de posséder la canne du champion, comme j’avais à 20
ans très envie d’avoir un bambou refendu de chez Léonard ou Brunner.
La mode avait changé, mais l’intérêt pour la pêche en sèche reste toujours très important et je vais
vous en donner la preuve. Environ 625 000 résultats sur Google pour les mots « Pêche à la mouche
sèche en rivière » Environ 296 000 résultats pour les mots « Pêche à la nymphe en rivière ». Et je
crois que la mode va de nouveau évoluer ! Parce que les rivières sont en train de changer à une
vitesse incroyable, et que le pouvoir d’achat des pêcheurs va également se restreindre avec la
nouvelle crise. Je suis certain que dans quelques années, les fabricants de matériel de pêche, sous
l’impulsion des pêcheurs de compétition, nous proposerons de nouvelles cannes et de nouvelles
soies pour pêcher en nymphe au toc, ou pêcher en utilisant des « mouches » parfumées de
phéromones. Et c’est là que sans dévoiler un secret de polichinelle que l’étude du comportement des
poissons et de la truite ou l’ombre en particulier, va nous aider ! Le gout et le toucher existent chez la
truite, et le seul moyen qu’une truite a, de toucher un objet, c’est avec sa bouche et pour le gouter
c’est la même chose. Si nous arrivons à fabriquer des mouches avec une odeur spécifique comme les
bouillettes des carpistes, je suis persuadé que nous déclencherons plus de touches au vrai sens du
mot, car les poissons voudront gouter et toucher cet objet bizarre qui passe devant leur nez. Je
rajoute actuellement à mes mouches une odeur grâce à un procédé que je garde secret pour
l’instant, mais qui je l’espère me permettra enfin d’attraper enfin autant de poissons que les
champions du monde !
Ça y est je viens de lancer une nouvelle mode !